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CARREAUX CÉRAMIQUES HOLLANDAIS AU PORTUGAL ET EN ESPAGNE
PAR
J.M. DOS SANTOS SIMÕES
DE L’ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS DE LISBONNE

LISBONNE II

PALAIS SALDANHA

Il faut revenir à Lisbonne pour voir les carreaux de l'ancien Palais de la famille SALDANHA E ALBUQUERQUE, mais le voyage en vaut bien la peine . . .

À l'Ouest de la ville, près de l'ancienne plage de Junqueira, avant d'arriver à Belem, s’allongeait la Quinta das Caldas, domaine des Saldanha, connus sous le nom populaire de Saldanhas da Junqueira. C'était une très noble famille d'origine castillane issue d'un Diego de Saldaña qu'accompagna la Princesse Doña Juana - la „Excellente Senhora" - quand el arrive au Portugal, vers 1475, fiancée au Roi Afonso V.

La branche des Saldanha portugais donna à l'histoire lusitanienne quelques-uns de ses héros, notamment un António de Saldanha, dit „Le Vieux", capitaine d'une armada des Indes et dont le nom reste lié à la géographie africaine par la „Saldanha-Bay". Un de ses enfants - le troisième de douze — fut Ayres de Saldanha, Vice-Roi des Indes en 1600, lequel à la veille de son départ pour l'Orient, constitua un Majorat dont 1'administration et les revenus passèrent à son fils aîné António, dit „Le Captif" car il avait été fait prisonnier des Maures lorsque son père était capitan de Tanger.

Le manoir de Junqueira, connu sous le nom de Páteo do Saldanha, fut commencé par Ayres vers 1580 et subit plusieurs agrandissements et transformations pendant les XVIIème et XVIIIème Siècles.

Les Saldanha, devenus Comtes de Ega, tombèrent en disgrâce lorsque le deuxième du titre, - Ayres - fut accusé de „collaboration" avec le gouvernement de Junot, le général de Napoléon qui envahit le Portugal en 1807. Le palais ainsi que tous les biens de la Maison de Ega furent saisis et les bâtiments transformés en Hôpital Militaire, puis en Quartier Général et résidence du gouverneur anglais William Beresford ; quand celui-ci fut forcé de rentrer en Angleterre, en 1820, le palais fut rendu au vieux Comte de Ega, réhabilité par une sentence royale.

À la mort, sans descendance, du troisième Comte de Ega, le palais, alors très délabré, passa en d'autres mains et dernièrement l'État Portugais y fit installer les Archives Historiques et les services administratifs de l'Hôpital d'Outremer.

Malgré les méfaits commis en raison des ces différentes affectations, le palais reste toujours un bel exemplaire de l'architecture civile portugaise, sobre mais élégant, avec sa façade du XVIIème Siècle donnant sur la cour d'honneur et son Grand Salon qui se détache d'une aile parallèle au Tage.

Ce fut João de Saldanha de Albuquerque (1637-1723), petit-fils d'António „Le Captif", qui agrandit le palais en lui ajoutant ce Grand Salon, connu aussi comme Salon de Musique, Salon des Colonnes, Salon des Maréchaux, Salon d'Apollon ou, encore, Salon Pompeï. Cette belle pièce fut totalement transformée et redécorée au début du XIXème Siècle dans le goût „empire" et ne garde de la décoration primitive que les panneaux céramiques qui la rendent célèbre.

João de Saldanha de Albuquerque était un des grands seigneurs de son temps. Lieutenant-Général d'Artillerie, Gouverneur et „Défenseur" du Port de Lisbonne, il devint en 1708 Président du Sénat de la Municipalité de cette ville. Son Palais de Junqueira, avec les beaux jardins qui descendaient jusqu'à la plage, était vanté par les écrivains et les voyageurs. Le manoir avec le corps du Grand Salon, surmonte d'un dôme et d'une lanterne, figure sur toutes les gravures de l'époque où il est désigné comme „Palais de Dom João de Saldanha".

João de Saldanha de Albuquerque n'était pas seulement un militaire et un politicien. II avait fréquenté l'Université de Coimbre, voyagé dans les cours d'Europe, réuni une bibliothèque classique, collectionné des peintures et œuvres d'Art, s'était exerçé à la littérature en traduisant des livres français.

La seule référence aux carreaux du Palais Saldanha publiée avant 1944, se trouve dans le Guia de Portugal (Vol. I, p. 381) où l'on peut lire que „le Salon des Maréchaux a des azulejos avec des vues de Venise ..." Il est vraiment incroyable que les tableaux céramiques qui depuis le début du XVIIIème Siècle enrichissent ce fameux palais, - où eurent Heu des fêtes, des réunions politiques, des concerts, - aient pu passer inaperçus et rester ignorés des investigateurs ou des amateurs.

Au cours d'une visite aux Archives d'Outremer, le Directeur, Dr. Manuel Murias, connaissant mon intérêt pour les azulejos attira mon attention sur le lambris du Grand Salon, alors occupé par les services d'un département des douanes coloniales. C'étaient, croyait-il, des „paysages" assez curieux . . .

La grande pièce était comblée de bureaux et d'armoires qui masquaient totalement les murs, et, tout ce que je réussis à voir ce furent deux rangées de carreaux dans l'espace laissé vide entre un coffre-fort et une étagère . . . Le peu que je voyais permettait cependant de reconnaître de merveilleux carreaux hollandais et une partie de la vue d'une ville que j'ai aussitôt identifiée : Cologne ! On m'assurait qu'il y avait des carreaux „comme ça" sur tous les murs . . .

L'installation, d'ailleurs provisoire, du département des douanes ne permettait pas une étude de l'ensemble et encore moins la prise de photographies. J'ai eu recours au Ministre Teófilo Duarte - dont l'amitié me faisait grand honneur - et, ensemble, nous avons visité le Grand Salon de Junqueira. Peu de temps après cette visite (1944) le Ministre avait trouvé le moyen de déplacer ces services et, le salon vidé, fut mis à la disposition des Archives Historiques d'Outremer.1

En Février 1948 je communiquais à l'Académie Nationale des Beaux-Arts de Lisbonne le résultat de mes études sur les Carreaux Hollandais du Palais Saldanha.2

Le Grand Salon, aujourd'hui affecté comme salle de conférences à l'Hôpital d'Outremer, est une pièce presque carrée et dont le plafond, évidé en coupole, est soutenu par huit colonnes de bois peint. Le tout a été décoré au début du XIXème Siècle avec des „grotesques" à la pompéïenne qu'on a attribués, à tort, au fameux peintre Jean Pillement. De la décoration du XVIIIème Siècle il ne reste que les huit panneaux carrelés, ceux-ci mêmes privés des bordures primitives qu'on a remplacé par des encadrements de bois. À l'origine, les panneaux étaient disposés en lambris, entre les portes et les fenêtres, comme il était de règle, et avaient au moins 12 carreaux de hauteur. Maintenant ils sont réduits à 9 carreaux tandis que, dans le sens de la largeur, chaque tableau se trouve plus étroit d'un carreau, de chaque côté sur toute la hauteur.

On peut accéder au Grand Salon par le jardin de l'Hôpital sur lequel s'ouvrent trois portes. Dans le fond de la pièce, une niche abrite la statue d'Apollon ; de chaque côté de cette niche, au bas des murs, on voit un panneau céramique d'un bleu très pur, où l'on découvre la vue d'une ville. Du côté gauche, c'est Cologne, du côté droit, Constantinople. Sur chacun des murs, entre les portes ou les fenêtres, il y a aussi deux panneaux : au Nord, Anvers et Rotterdam; du côté de l'entrée, Middelbourg et Hambourg ; au Sud, Venise et Londres!

C'est un véritable Atlas Céramique qu'il faut feuilleter page par page . . .

 

ROTTERDAM

À peu près de mêmes dimensions que le panneau d'Anvers, celui qui représente Rotterdam n'a pas non plus besoin de légende. Là aussi c'est la tour de la grande église - Groote Kerk - qui nous aide à l'identifier.

Dans la „vue" de la ville, patrie d'Erasme, on reconnaît le Boulevard - Bolwerk - à droite du fameux quai des tilleuls - le Boompjes -, les portes, d'architecture espagnole, qui flanquaient l'entrée du Leuve Haven et qui conduisaient au Blaak, où mouillaient les navires dont on aperçoit les gabies et les antennes derrière les maisons.

Cette fois le modèle de l'auteur des carreaux fut la grande gravure de Jacob Quacq, datée de 1665, et dont l'auteur a eu l'exclusivité jusqu'en 1680 : elle se compose de cinq feuilles et est considerée comme très rare.

Comme dans le cas d'Anvers, le peintre a accordé une importance particulière à l'avant-plan et au mouvement des bateaux qui croisent sur le fleuve - le Nouveau Maas. Près de l'estacade du Boompjes un navire de haut bord attend sa cargaison, tandis que sur le quai du Bolwerk un grand voilier s'apprête a déplier ses voiles. Ces détails maritimes ne se voient point sur la gravure de Quacq ce qui confirme que l'artiste des carreaux était particulièrement attaché aux représentations marines.

 

(1)      En Janvier 1945, je communiquais le résultat de mes premières recherches sur les panneaux topographiques du Palais Saldanha pendant une séance d'études au Musée National d'Art Ancien de Lisbonne. Poursuivant l'étude des sources d'inspiration des panneaux en Angleterre, Hollande et Belgique, j'ai eu l'occasion de m'y référer encore au cours des conférences données au Printemps de 1946 aux Musées Victoria & Albert, de Londres, Rijksmuseum, d'Amsterdam et Musée du Cinquantenaire, de Bruxelles.

(2)       J. M. dos Santos Simões, „Os Azulejos Holandeses do Palácio Saldanha" dans Revista e Boletim da Academia Nacional de Belas Artes, 2ème série, No. 1, Lisbonne 1949.